Digesta OnLine 2022

 

La justice climatique

Antoine Maniatis

Professeur assistant de l’Académie de la Marine Marchande de la Macédoine

Membre de l’IRJI François-Rabelais de l’Université de Tours

Marie Roboka

Ingénieure des mines et Ingénieure en génie civil

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RÉSUMÉ

La justice relative au changement climatique est liée au contentieux climatique sur l’initiative du mouvement écologique ou des entreprises émettrices de gaz à effet de serre. En outre, le droit à l’eau gagne du terrain, inter alia à travers la prohibition du fracking en France. Qui plus est, les « biens environnementaux » ne constituent pas une fiction de la doctrine mais une réalité juridique, exemplifiée par l’eau et la stabilité du climat, et ils sont comparables à la notion des « ressources touristiques ». Au fur et à mesure qu’on dénie l’existence ou du moins la reconnaissance des biens environnementaux en droit positif, il en résulte une diminution de la protection de l’environnement. Enfin, la justice climatique est avant tout un idéal consistant en la solidarité internationale envers les pays les plus pauvres et lié aux droits de l’homme, en particulier dans le contexte actuel de multiculturalisme, exemplifié par les droits des peuples autochtones.

Mots-clés: biens environnementaux, droit à l’eau, justice climatique, peuples autochtones, ressources touristiques

Introduction

L’économie qualifie généralement les biens environnementaux de biens publics tandis que la stabilité du climat constitue un bien environnemental public, lequel est caractérisé comme pur, c’est-à-dire dont l’humanité toute entière bénéficie[1]. Du premier sommet de la Terre, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992, c’est la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui a résulté. Malgré le fait que cet instrument ne comprend aucune cible juridiquement contraignante, il a inauguré l’ère courante des droits de l’homme, à savoir de quatrième génération. Cette période a été initiée par le droit d’atténuer les incidences du changement climatique, sous la lumière du principe général de développement durable.  Le prolongement de la Convention-Cadre a été le protocole de Kyoto, acté en 1997. La seconde période d’engagement a été fixée en 2012 et s’est étendue du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2020.

En outre, adopté en septembre 2015 lors d’un sommet des Nations Unies, l’Agenda 2030 constitue un plan d’action 2015-2030 qui fait suite au programme « Objectifs du millénaire pour le développement ». Il s’agit d’un ensemble de 17 objectifs de développement durable (ODD), bien liés inter alia à la question de changement climatique. L’Agenda 2030 et les ODD qui en découlent présentent une conception profondément novatrice du développement durable. Ils associent à la lutte contre l’extrême pauvreté et à la réduction des inégalités la préservation de la planète face aux dérèglements climatiques.

Le 12 décembre de la même année l’Accord de Paris a été adopté, au titre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et il est entré en vigueur le 4 novembre 2016[2]. Il s’agit du tout premier accord mondial juridiquement contraignant au sujet du changement climatique. Il définit un cadre visant à éviter un changement climatique dangereux en limitant le réchauffement de la Terre à un niveau nettement inférieur à 2 °C et en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5 °C. Il constitue un compromis porté par le principe de justice climatique, lequel consiste en la reconnaissance que les États du Nord et ceux du Sud ont des responsabilités communes mais différenciées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, ainsi que leurs capacités respectives à y faire face sont inégales.

Dans ce contexte, il serait intéressant d’analyser la justice climatique, avec une ouverture au droit à l’eau. D’abord, la recherche porte sur le phénomène actuel de la justice du contentieux climatique, sur l’initiative du mouvement écologique (I).

Ensuite, elle continue d’esquisser le profil de la justice climatique mais à l’inverse. Elle focalise sur les procès intentés à l’encontre de la politique de prohibition de la méthode de fracturation hydraulique (II).

Enfin, elle examine une garantie bien liée au droit de l’environnement, le droit à l’eau (III).

  1. Les procès intentés par le mouvement écologique

Le contentieux climatique a une histoire d’environ de 20 ans, tout en marquant le XXIe siècle. Les organisations environnementales ont expérimenté une crise d’identité à l’aube de ce siècle, en ayant du mal à persuader les gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour l’affrontement de l’effet de serre, avant l’Accord de Paris. À partir de 2005, elles ont opté pour un activisme judiciaire mais les recours intentés ont été rejetés. En effet, les procès initiés par ces organisations et d’autres justiciables, en principe jusqu’à la décision émise en premier ressort « URGENDA », du 24 juin 2015, ont été marqués par défaite des requérants. Les actions en justice lesquelles étaient dirigées contre soit des gouvernements ou d’autres organes étatiques soit des entreprises qui en vue de leur activité émettaient une grande quantité de gaz à effet de serre, s’avéraient vaines.

Il est aussi remarquable qu’à l’option nouvelle du mouvement écologique d’expérimenter pour la première fois la voie judiciaire au lieu de consommer leur énergie à la voie d’activisme classique, la motivation de la défaite a été stéréotypée ; les juges excluaient la possibilité de s’occuper d’options politiques issues du pouvoir législatif ou de l’appareil exécutif. Il en résulte un universalisme de la jurisprudence nationale en la matière, tout en désignant le caractère politique des mesures liées par ailleurs à une normativité faisant partie du droit international, telle que celle du changement climatique.

Les chances de succès des actions de ce type sont tributaires de l’interprétation juridictionnelle des normes climatiques. En d’autres termes, le droit climatique est principalement énoncé dans des textes internationaux dont l’effet direct n’est pas évident. Or, lorsqu’une règle est dépourvue d’effet direct, le juge considère qu’il ne peut pas servir à évaluer le bien-fondé de la demande du requérant[3].

À titre d’exemple, en 2005 la Cour fédérale de district de New York a rejeté le recours d’huit États fédérés et de la ville de New York et de certaines organisations environnementalistes contre les cinq producteurs les plus grands d’électricité dans les États-Unis. Les requérants demandaient à la Cour d’imposer au Gouvernement de fixer des limitations sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais selon le prétoire, cette demande porte sur des questions de politique internationale et de politique interne, lesquelles seulement le Président ou le Gouvernement peuvent résoudre, du point de vue constitutionnel[4].

Cependant, au cours des années 2000 le juge américain a ouvert la voie au contentieux climatique national dans l’affaire Massachusetts versus EPA et par la suite, la justice climatique a été mise en œuvre par d’autres juridictions nationales à travers le monde[5]. Plus précisément, 19 associations ainsi que 12 États fédérés, dont le Massachusetts, ont saisi la Cour d’appel fédérale du district de Columbia pour contester le refus de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) de réglementer les émissions de gaz à effet de serre[6]. Mais le tribunal a estimé que l’Agence a raisonnablement fait usage de sa discrétion. Une fois saisie la Cour suprême des États-Unis, le 2 avril 2007 elle a reconnu la recevabilité de la demande des requérants et l’intérêt à agir de l’État fédéré. Elle a considéré que le préjudice, même s’il est collectivement ressenti, a des conséquences personnelles pour le demandeur. Elle a affirmé la compétence de l’Agence, laquelle, par la suite, en 2009, a adopté des normes de réglementation d’émissions pour les véhicules légers ou lourds.

En juin 2008 un recours intenté par une organisation du Canada, «Ecojustice», et l’organisation «Friends of the Earth», à l’encontre du gouvernement fédéral canadien, argumentant que les objectifs du Protocole de Kyoto n’ont pas été accomplis, a été rejeté. La Cour fédérale canadienne a considéré que la matière en cause n’était pas soumise à l’évaluation du pouvoir judiciaire[7].

Une affaire particulière consistait en la réaction judiciaire des habitants d’un village autochtone. La Cour d’Appel fédérale des États-Unis a rejeté un recours du village arctique d’Esquimaux Inupiat, Kivalina, en Alaska contre 22 entreprises pétrolières afin d’atteindre un ordre de réduire les émissions à gaz de serre. Le justiciable soutenait la position que le changement climatique a érodé la barrière de glace qui protège Kivalina contre les tempêtes d’hiver. Cette influence sur la nature est censée mettre en péril la survie du village. Mais cette demande n’a pas été l’unique, on a demandé, d’une manière subsidiaire, que les compagnies pétrolières soient condamnées à payer une somme d’indemnisation pour le coût de déplacement du village entier à une position plus sûre, du point de vue géographique et climatique.

Cependant, la justice, tout en tenant compte de la ligne jurisprudentielle précitée de la Cour newyorkaise, a considéré que la solution des problèmes de Kivalina est dans les mains du pouvoir législatif et du gouvernement[8]. Qui plus est, elle a aussi estimé que les requérants devraient en tout cas offrir la preuve que leurs biens sont menacés par le fait qu’ils sont situés en proximité des émissions. En cas contraire, chacun des habitants de la Terre pourrait promouvoir une action analogue.

En tout cas, très souvent, l’exploitation des ressources naturelles nécessite la prise en compte des droits des peuples autochtones, qui résident sur les territoires concernés par la mise en valeur de ces ressources[9]. Le développement des droits des populations autochtones est une des surprises de l’histoire puisque personne ne croyait après le second conflit mondial que ces peuples avaient un quelconque avenir : ils devaient être absorbés dans les populations dominantes par une élévation commune du niveau de vie[10]. Pas seulement il n’en a pas été ainsi mais la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle, adoptée en 2001, affirme pour la première fois que la diversité culturelle est « gage d’un développement humain durable ». Qui plus est, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 13 septembre 2007, après plus de vingt ans de négociations, la Déclaration sur les droits de ces peuples tandis que les 4 pays dissidents – l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis – ont tous changé plus tard leur position et ont exprimé leur soutien à la Déclaration[11].

L’arrêt néerlandais « Urgenda c. Royaume des Pays-Bas », de la cour d’appel de La Haye, émis le 9 octobre 2018, communément dit « URGENDA », confirme le jugement précité du Tribunal de La Haye, dans la même affaire. Le jugement initial constitue une originalité à climax international, étant donné qu’il s’agit de la première décision judiciaire à considérer que la question de contenir les conséquences du changement climatique n’est pas une matière réservée à la faculté discrétionnaire du pouvoir législatif ou exécutif mais une source de droits des citoyens[12].

En juin 2015, quelques jours après la publication de cette décision, un autre juge, cette fois-ci des États-Unis, a émis une décision, suite d’un recours de quelques jeunes étudiants, et il a donné l’ordre au Ministère de l’Écologie de l’État de Washington de reconsidérer la demande de ceux-ci, laquelle avait été soumise en 2014 et rejetée par le Ministère[13]. Il s’agissait d’une proposition d’adoption de mesures visant à réduire les émissions relatives à l’effet de serre, à l’intérieur de cet État, sur la base de données scientifiques valables. Le verdict, lequel se trouve en ligne avec la jurisprudence hollandaise, signale que les jeunes gens sont dotés du droit de vivre dans l’avenir, à un environnement sain. Il constate aussi que le Ministère en cause n’a guère contesté les données offertes par les étudiants et partagées par la communauté académique internationale, en matière du dommage résultant du changement climatique.

En général, les actions judiciaires du contentieux climatique ont été développées plutôt dans les États de culture anglo-saxonne (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande notamment)[14]. Cela est bien le cas de la décision australienne « Gloucester Resources Limited c. Ministère de la Planification ». La Cour foncière et environnementale de la Nouvelle-Galles du Sud est la première cour supérieure spécialisée en l'environnement, dans le monde entier. Elle a été créée le 1er septembre 1980 par la loi de 1979 sur le tribunal foncier et environnemental. En février 2019, Brian J. Preston, le chef de la Cour, a décidé de bloquer en partie le développement d’une mine de charbon car la construction et l’opération d’une mine, ainsi que le transport et la combustion du charbon de la mine entraîneront l'émission de gaz à effet de serre, ce qui contribuera au changement climatique.

Quant à la France, ce n’est que depuis novembre 2018 que les recours climatiques commencent à se développer[15]. L’affaire très médiatisée, dénommée « affaire du siècle », a été axée inter alia sur la Charte de l’environnement, malgré le fait qu’une part de la doctrine considère que ce texte ne protège pas vraiment des «biens environnementaux ». Il est notable que l’association requérante Oxfam France a soutenu qu’«aucune violation directe des articles 1 et 2 de la Charte n’a été invoquée (mais elle ne peut être exclue) et il est faux de dire que l’application de la Charte ne crée pas d’obligation générale de lutte contre le changement climatique, comme le montre la décision du conseil constitutionnel 2019-823 QPC»[16]. L’affaire a abouti en premier ressort à la décision du tribunal administratif de Paris, du 3 février 2021, sous réserve d’une décision complémentaire[17]. Ce texte a reconnu la carence partielle de l’État à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique «n’ont pas été respectés et cette carence a contribué à ce que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre […] ne soit pas atteint». Mais il écarte les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire du préjudice écologique et rappelle, aux termes de l’article 1249 du code civil, que la réparation du préjudice écologique, qui est un préjudice non personnel, s’effectue par priorité en nature et « que ce n’est qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation que le juge condamne la personne responsable à verser des dommages-intérêts au demandeur, ceux-ci étant affectés à la réparation de l’environnement ».  L’objet de l’action ne consiste pas en indemniser, c’est-à-dire rendre indemne, mais il se situe ailleurs, dans la déclaration de culpabilité que réalise la caractérisation de la faute[18]. Enfin, l’État doit verser à chacune des associations requérantes la somme d’un euro demandée en réparation de leur préjudice moral.

En outre, le 17 juin 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a condamné l’État fédéral belge ainsi que les trois régions du Royaume pour l’insuffisance de son action en matière climatique, suite d’une action en justice introduite en juin 2015 par 58.000 citoyens et l’association Klimaatzaak[19]. Cependant, le prétoire a jugé qu’il ne lui appartient pas de déterminer les objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tous secteurs confondus, que devrait rencontrer la Belgique afin de « faire sa part » dans sa prévention du réchauffement climatique dangereux. Le constat de la carence publique n’autorise pas au tribunal, en vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, à fixer lui-même des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de la Belgique. Cela est pourquoi la demande d’injonction formulée par les parties demanderesses a été déclarée non fondée. D’ailleurs, le prétoire s’est pleinement abstenu de reconnaître une qualité à agir aux composantes de la nature, telles que la flore. Le 3 mai 2019 a été déposé au greffe un acte portant intervention volontaire de 82 arbres «à longue durée de vie». Mais leur intervention a été déclarée irrecevable étant donné que dans l’état du droit positif belge, les arbres ne sont pas «sujets de droits» et n’ont pas qualité de former une demande en justice.

  1. Les procès intentés contre la prohibition du fracking

Les entreprises émettrices de gaz à effet de serre ne manquent pas l’occasion de contester la politique nationale visant à affronter le changement climatique. Cela est bien le cas de la mise en cause de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement. La loi dite hydrocarbures constitue de par sa nature une originalité mondiale étant donné que la France a été juste la première nation à mettre en place une loi ayant pour but d’interdire la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures. Ce texte prévoit pas seulement l’interdiction d’émission de permis de recherche ou d’exploitation sur le territoire français mais aussi la fin du renouvellement des concessions d’exploitation au-delà de 2040. Qui plus est, il introduit une interdiction définitive de réaliser des explorations pour trouver du gaz de schiste ou de l’exploiter. En d’autres termes, à partir du moment où est interdite la recherche d’hydrocarbures et où aucun permis d’exploration de gaz de schiste n’a été délivré au jour de l’adoption de la loi, aucune exploitation de gaz de schiste n’est plus possible. Le contenu de cette loi a provoqué une contestation judiciaire sur l’initiative de plusieurs entreprises du domaine pétrolier. Il conviendrait de signaler que les compagnies pétrolières ont récemment expérimenté des aventures variées ; auparavant le secteur des énergies a été caractérisé par une dualité : d’un côté le monopole dans le secteur de l’électricité, de l’autre la concurrence, quant au pétrole qui a pu détrôner le charbon. Mais le charbon a pu opérer un retour inattendu au XXIe siècle, alors que cette énergie semblait appartenir au passé[20]. Le commerce du charbon et du pétrole, depuis longtemps libéralisé au niveau européen, représente encore environ 50% de l’approvisionnement en énergie primaire de l’Union européenne.

Il conviendrait de signaler que si on a institutionnalisé la non-dépendance de l’exploitation de gaz de schiste, lequel a manifesté l’intérêt de divers États en vue de la raréfaction des énergies fossiles conventionnelles, la France avait déjà fait preuve d’un tel esprit au sujet de la recherche et de l’exploitation à travers la fracturation hydraulique. Elle est devenue le premier pays à prohiber le fracking pour exploiter notamment le gaz de schiste, à travers la loi du 13 juillet 2011, laquelle a invoqué la Charte de l’environnement et le principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Suite de cette prohibition absolue sur le territoire national, une entreprise texane a intenté un procès climatique mais le Conseil constitutionnel a ratifié cette option politique. Dans la pratique, la contestation de la fracturation hydraulique a été basée inter alia sur le principe de précaution, lequel a été la thématique la plus controversée de la Charte mais aussi une des plus importantes.

Dans un procès pareil, la Cour Constitutionnelle de la Lituanie n’a pas fait usage de la précaution pour délégitimer le fracking[21]. Cela a été aussi le cas d’un autre pays de l’Union européenne, tel que l’Espagne, dont le Tribunal Constitutionnel n’a pas reconnu le droit d’une Communauté Autonome, telle que la Cantabrie, à fonder son développement sur des activités économiques écologiquement admissibles, dont le tourisme durable, comme sous-entendu par la doctrine[22]. Une telle jurisprudence s’avère contraire aux principes du droit de l’environnement, sinon éloignée de la dynamique de l’intégration européenne[23]. Il en résulte une approche comparatiste qui met l’accent sur l’expérimentation du législateur à l’égard des menaces modernes à l’encontre des biens classiques, dont l’eau et plus généralement l’environnement. Même des valeurs en voie de consécration plus forte sont en cause, telles que le développement régional souple et les droits de l’homme au tourisme et à l’hospitalité.

Particulièrement le tourisme est intrinsèquement propice de promouvoir par excellence un intérêt collectif plus ample au sujet des « biens environnementaux » d’ordre naturel et culturel. Ces biens constituent un concept juridique valable, lequel pourrait être considéré comme comparable à la notion des «ressources touristiques », dont les paysages naturels et les monuments historiques.

  • Le droit à l’eau

Si l’Agenda 21 a explicitement désigné l’importance de l’eau, le 21 mai 1997 l’Assemblée Générale des Nations Unies a mis le pas en avant, en adoptant la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, laquelle est régie par les principes d’unité de la ressource en eau et du respect mutuel des États[24]. Ce texte reconnaît que les pays du cours d’eau ont le droit d’utiliser une part raisonnable et équitable des eaux du cours d’eau de façon optimale sur leur territoire, en tenant compte de tous les facteurs et circonstances pertinents, comme les facteurs climatiques, à condition de ne pas causer de dommages appréciables aux autres États. Ces États sont aussi dotés du droit de participer aux négociations et de devenir parties à tout accord applicable au cours d’eau tout entier.

En outre, l’ODD 6 de l’Agenda 2030 consiste en « Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable ». Pour assurer la protection des droits de l'homme, les États devraient tenir compte des caractéristiques dynamiques et de l'unicité de l'eau ainsi que de l'impact du changement climatique sur la disponibilité de l'eau.

En droit international, une problématique à part consiste en la question d’exploitation des icebergs, lesquels sont considérés plus proches des ressources halieutiques que des ressources minérales. L’exploitation aux fins de production d’eau potable fait partie de la réalité économique puisque le gouvernement provincial de Terre-Neuve au Canada accorde des permis d’exploitation depuis 1999. Quant à la normativité applicable en la matière, la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (CMB) ne fait guère mention du phénomène d’icebergs. Les icebergs sont donc exploitables à tout moment dans le cadre général offert par la mer territoriale, la Zone Économique Exclusive (ZEE) et la haute mer[25]. La doctrine emphatise l’importance de l’existence de règles de haute qualité sur l’eau, particulièrement l’eau potable[26].

En droit constitutionnel, le droit à la protection de l'environnement aquatique n’est qu’implicite dans la Charte de l'environnement. Auparavant, la doctrine, basée sur le fait que ce droit n’avait pas été ratifié par le Conseil constitutionnel, remarquait que la transition de la « loi sur l’eau » au « droit à l’eau » était nécessaire pour la mise en marche d'une politique intégrée sur la protection et le rétablissement de la biodiversité de l'eau[27]. Mais dans l’affaire du groupe Saur SAS, le Conseil a considéré que les dispositions attaquées entendaient empêcher l’interruption du service de l’eau afin d’assurer la mise en œuvre de l’objectif à valeur constitutionnelle de droit de toute personne à un logement décent, lequel justifie, par ailleurs, que des règles différentes s’appliquent à l’eau d’une part et au gaz ou à l’électricité d’autre part. En d’autres termes, l’exemption de l’interruption de la prestation de l’eau aux consommateurs domestiques ne se limite pas à  la période  appelée «de  la  trêve d’hiver»[28]. Le Conseil a aussi précisé que la distribution et la tarification de l’eau opèrent toutes deux sur un marché réglementé, encadré par la loi, caractérisé notamment par le fait que l’usager n’a pas le choix de son distributeur, de sorte que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre ne saurait être regardée comme disproportionnée. La doctrine a caractérisé la décision 2015-470 intéressante pour ce qu’elle fait entrevoir des usages de la QPC par différents acteurs économiques[29]. Mais l’intérêt de cette jurisprudence va au-delà de la pratique d’un mécanisme plus récent que la Charte de l’environnement, tel que la QPC[30]; il s’agit de la reconnaissance pas seulement du droit constitutionnel  à un  logement  décent[31] mais  du droit spécial original à la prestation durable de l’eau (aux habitants  au logement  principal). Certes, ce cas de durabilité hydrique constitue un droit social moderne, faisant partie de la courante génération des droits fondamentaux, favorisant les individus et les familles[32]. En même temps, il exemplifie le droit général à l’eau[33], qui fait partie de la troisième génération en droit comparé.

Conclusion

Ce qui se dégage de la présente analyse est que les biens environnementaux ne constituent pas une fiction de la doctrine mais une réalité juridique, exemplifiée par l’eau et la stabilité du climat. Au fur et à mesure qu’on dénie l’existence ou du moins la reconnaissance des biens environnementaux en droit positif, il en résulte une diminution de la protection de l’environnement.

De plus, le droit climatique a graduellement acquis une telle dynamique qu’il a récemment atteint son autonomie à l’égard de la branche générique du droit de l’environnement[34]. L’autonomie a émergé en 2015 à travers des processus complémentaires, tels que la jurisprudence favorable à l’activisme des organisations non-gouvernementales et l’adoption de l’Accord de Paris.

La justice climatique constitue un nouvel appareil du siècle courant, lequel a émergé au fur et à mesure que les juges ont quitté la logique de filtrer les recours correspondant à une matière confiée aux organes politiques de l’État, tels que le Parlement et le gouvernement. Par conséquent, les requérants ont commencé à compter avec des victoires au fond, même si celles-ci font preuve d’un caractère plutôt symbolique et moral. L’ère du filtre absolu des démarches juridictionnelles semble avoir céder sa place à une jurisprudence assez hésitante, sinon sui generis. Cela est bien le cas de demandes d’indemnisation du préjudice écologique et d’une éventuelle injonction de mesures dans la politique publique au sujet du changement climatique.

Mais la justice climatique est avant tout un idéal consistant en la solidarité internationale envers les pays les plus pauvres et lié aux droits de l’homme, en particulier dans le contexte actuel de multiculturalisme, exemplifié par les droits des peuples autochtones. Qui plus est, il serait opportun de prévoir explicitement des garanties liées à la branche générique du droit de l’environnement, telles que le droit à l’eau, lequel gagne du terrain inter alia à travers la prohibition du fracking en France, et le droit de contenir le changement climatique.


[1] C. Etrillard, Du bien public aux biens d’utilité collective. Quelle qualification pour les biens environnementaux ?, Petites affiches, 28 octobre 2016, p. 7 ss.

[2] L’Accord a été approuvé par l’Union européenne, à travers la décision (UE) 2016/1841 du Conseil du 5 octobre 2016 relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, de l'accord de Paris adopté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

[3] M. Fleury, dans le débat :  Les recours climatiques sont-ils un moyen efficace de lutter contre le changement climatique ?, #1257 n° 1, Juin 2019, p. 11.

[4] S. Nespor, I principi di Oslo: nuove prospettive per il contenzioso climatico, 6/2015, Giornale di diritto amministrativo, p. 751.

[5] N. Rouland, Le réchauffement climatique dans l’Arctique (Russie et Groenland) et les peuples autochtones, RRJ 2019-3 XLIV - 178, p. 918.

[6] R. Noubel, Massachusetts c. EPA (2007), Justice Environmental Law, avril 1, 2021, https://justiceenvironmentallaw.com/massachusetts-c-epa-2007/.

[7] Friends of the Earth Canada v. The Governor in Council et al., Federal Court [2008] FC 1183.  

[8] Native Village of Kivalina v. ExxonMobil Corp., 9th Cir., n. 09-17490, 21 September 2012.  

[9] N. Rouland, Le réchauffement climatique dans l’Arctique (Russie et Groenland) et les peuples autochtones, RRJ 2019-3 XLIV - 178, p.917.

[10] N. Rouland, Le réchauffement climatique dans l’Arctique (Russie et Groenland) et les peuples autochtones, RRJ 2019-3 XLIV - 178, p.918.

[11] N. Rouland, Le réchauffement climatique dans l’Arctique (Russie et Groenland) et les peuples autochtones, RRJ 2019-3 XLIV - 178, pp. 915, 916.

[12] St. Nespor, I principi di Oslo: nuove prospettive per il contenzioso climatico, Giornale di diritto amministrativo, 6/2015, p. 751.

[13] A. Maniatis, The Right to Containing Climate Change (CCC), 10th Annual Conference of the EuroMed Academy of Business, p. 2130.

[14] M. Torre-Schaub dans le débat : Les recours climatiques sont-ils un moyen efficace de lutter contre le changement climatique?,  #1257 n° 1, Juin 2019, p. 9.

[15] M. Torre-Schaub dans le débat : Les recours climatiques sont-ils un moyen efficace de lutter contre le changement climatique ?, #1257 n° 1, Juin 2019, p. 9.

[16] TA Paris, 4ème section -1ère chambre, 3 février 2021, n° 1904967, n° 1904968, n° 1904972, et n° 1904976/4-1, p. 8.

[17] TA Paris, 4e sect., 1re ch., 3 févr. 2021, n° 1904967.

[18] H. Gali, Le préjudice et l’environnement, Recueil Dalloz - 15 avril 2021 - n° 13, p. 714.

[19] Anonyme, Condamnation de l’État fédéral belge et les trois régions du pays par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, 17 juin 2021, Justice Environmental Law, juin 27, 2021, https://justiceenvironmentallaw.com/condamnation-de-letat-federal-belge-et-les-trois-regions-du-pays-par-le-tribunal-de-premiere-instance-francophone-de-bruxelles-17-juin-2021/.

[20] G. Férone-Creuzet, Le crépuscule fossile, Éditions Stock, 2015.

[21] V. Chiu, Les cours constitutionnelles européennes et le principe de précaution, novembre-décembre 2017, RFDA, pp. 1059-1060.

[22] S. Galera Rodrigo, En el día del medio ambiente: España, ¿Hasta cuándo el último de la clase en políticas ambientales europeas?, Actualidad Jurídica Ambiental, n. 80, 5 de junio de 2018, p. 3.  

[23] A. Maniatis, Actualidad europea del derecho ambiental, Medio ambiente y derecho, núm. 34 Julio 2019.

[24] F. Quilleré-Majzoub, L’eau dans tous ses états juridiques. Prospectives hydrauliques internationales, Editions A. Pedone, 2017, p. 11.

[25] F. Quilleré-Majzoub, L’eau dans tous ses états juridiques. Prospectives hydrauliques internationales, Editions A. Pedone, 2017, p. 53.

[26] Voir A. Maniatis, M. Roboka, La justice environnementale, Digesta OnLine 2021, p. 8.

[27]  Ch. Baillon-Passe, Du droit constitutionnel de l’eau, Petites affiches, 2011.

[28] Anonyme, Commentaire, Décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 (Société SAUR SAS)  (Interdiction  d’interrompre  la distribution d’eau dans  les  résidences  principales), p. 1, https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2015470qpc/2015470qpc_ccc.pdf.

[29] S. Hennette Vauchez, les droits et libertés que la constitution garantit » : quiproquo sur la QPC?, La Revue des droits de l’homme, 10/2016.

[30] Voir Dossie: Le Conseil constitutionnel :  trois ans de QPC, Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 40/juin 2013.

[31] A. Maniatis, Derecho hidráulico y contratación pública, Observatorio de Contratación Pública 05/03/2018.

[32] A. Maniatis, Agua y contratación pública, in J.-M. Gimeno Feliù (Dir.), Observatorio de los contratos públicos 2017, Thomson Reuters Aranzadi, 2018, p. 613.

[33] A. Maniatis, Le droit à l’eau et les marchés publics, Éditions Notre Savoir, 2021, p. 38.

[34] Voir N. Rouland, Le réchauffement climatique dans l’Arctique (Russie et Groenland) et les peuples autochtones, RRJ 2019-3 XLIV - 178, p. 917.